Nous vous proposons cet article intéressant à propos de l'astrologie et de l'astronomie par Daniel Kunth directeur de recherche CNRS émérite à l’Institut d’Astrophysique de Paris. Il est co-auteur d’un ouvrage qui vient de paraître Ref : L’Astrologie est-elle une imposture ?  D. Kunth & Ph. Zarka, 2018, CNRS éditions, coll. Biblis no 194

 

Une histoire à rebondissements

L’astrologie a connu depuis le début du XXe siècle un renouveau inattendu suivi d’une forte audience, du moins en France. Cette situation est pour le moins surprenante pour une pratique dont l’efficacité, autant que la réalité de ses bases, furent sans cesse contestées par les rationalistes. Après la fermeture par Colbert du Collège d’astrologie en 1666, elle disparut pendant deux siècles, pour resurgir en 1930. Elle fut marquée par le succès spectaculaire de la rubrique de Madame Soleil (son vrai nom) à partir de 1970, sur les ondes d’Europe 1. Fort de cette réussite médiatique, l’astrologie connut une fortune inattendue (au sens propre et figuré), véritable déferlante accompagnée d’une commercialisation intensive et lucrative. Elle s’appuya non seulement sur des supports traditionnels comme des livres ou des magazines, mais sur des médias électroniques et aujourd’hui sur Internet. Du tabloïd à l’hebdomadaire, du mensuel au quotidien, la plupart des journaux proposent aujourd’hui une rubrique astrologique. En 2001, Élisabeth Teissier obtint le grade de docteur en sociologie, avec pour but de rétablir la place de l’astrologie au sein de l’Université. Cet évènement suscita un tollé, fort légitime, de la part de nombreux scientifiques.

Cette dernière décennie au demeurant, l’astrologie ne semble plus à même de susciter le même engouement en Occident.  La société évolue rapidement ; nous nous proposons d’interroger l’influence des astrologues dans ce monde en mutation et d’examiner s’il existe un besoin que ni la science, ni même la psychologie, ou que les religions ne prendraient pas en considération.

 

Le logiciel pseudo-scientifique de l’astrologie

Y a-t-il un ciel et y discerne-t-on une logique ?  L’astrologie énonce qu’au désordre sur Terre répond dans le ciel un ordre immanent qui structure chaque individu dès la naissance, et se propose de restituer l’identité de l’Homme au sein du Cosmos, en concurrence avec la cosmologie scientifique.

Si l’astrologie a survécu jusqu’à aujourd’hui, c’est que l’astrologie grecque a su réaliser le mariage improbable entre religion astrale et rationalité scientifique. Les observations, mille fois répétées, permirent de prédire certains événements célestes et, par voie de conséquence terrestres ; on imagina alors un contrôle des seconds par les premiers, fondant l’astrologie naturelle qui concerne les phénomènes du même nom. L’extrapolation à l’influence des astres sur les affaires humaines, puis sur les individus, en furent des conséquences immédiates.

Les Mésopotamiens dressèrent des tables permettant de prédire la trajectoire apparente du Soleil, des planètes, de la Lune à travers le zodiaque, ainsi que le retour des éclipses. La distinction astronome/astrologue, aujourd’hui si claire, fut pendant longtemps impossible à établir, voire impensable. Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, et Saturne, furent repérés très tôt, car ils ne partagent pas la rotation d’ensemble du firmament mais semblent jouir d’une certaine indépendance de mouvement. Appelés « planètes » (astres errants, en grec), ils furent perçus comme les représentants des dieux supérieurs et en devinrent les interprètes. Plus tard, l’astrologie moderne se débarrassa des dieux pour ne conserver que leurs pouvoirs.

Au demeurant, à mesure que les observations s’accumulèrent, il devint patent que le monde réel se pliait bien mal à l’ordre cosmique envisagé par les grecs. Il faut imaginer l’impression étrange qu’ils pouvaient ressentir en observant la planète Mars inverser le sens de sa course parmi les étoiles ! Ce changement fantasque de direction devint une difficulté majeure du système géocentrique de Ptolémée, puisqu’en aucun cas des astres en mouvement circulaire uniforme autour de la Terre ne devaient rétrograder !

En Europe, l’apparition de nouveaux instruments astronomiques et les observations qui en découlèrent sapèrent progressivement l’édifice géocentrique en vigueur depuis Ptolémée. Tycho Brahé, Johannes Kepler et Galileo Galilée y jouèrent un rôle décisif. Avec eux, le monde fut à repenser, les anciens repères ayant disparu. Désormais la science se positionnait contre tout principe d’autorité venu d’en haut.  L’homme de la Renaissance s’octroyait la liberté d’entreprendre sa propre quête de la vérité, sans s’en tenir nécessairement aux textes révélés.

En France, la théorisation du système héliocentrique, la montée du rationalisme, le durcissement du catholicisme en prise avec la Réforme et les procès en sorcellerie sous Louis XIV contribuèrent à bouter les astrologues hors du monde savant. Une ordonnance royale de 1682 décréta l’expulsion des devins et astrologues, initiative soutenue par l’Église en lutte contre les tendances astrologiques portant atteinte au libre-arbitre.

Écartée des formes de pensée traditionnelles, l’astrologie suivit des voies souterraines. Refoulée dans des cercles occultes, cantonnée aux almanachs, elle tenta de répondre à une demande qui ne décrut pas, en particulier dans les couches populaires, jusqu’à sa résurgence au début du XXe siècle. Certains décidèrent alors de transformer leur pratique en une science, analogue aux autres.

L’astrologie contemporaine postule toujours l’existence d’un ensemble de relations entre les positions des planètes, de la Lune et du Soleil (aussi appelés luminaires) dans les signes du zodiaque et les événements terrestres, la psychologie ou le destin des êtres humains. Une fois ces relations définies, le calcul de ces positions (en réalité établies par les astronomes et listées dans leurs catalogues) permet de prédire les évènements terrestres correspondants

Comme dans de nombreuses cosmogonies antiques, le ciel nous renvoie bien à nous-mêmes, seulement et encore à nous-mêmes. Il ne s’agit aucunement d’une science du ciel, car ni les outils de l’astrologie, qui se réduisent pour l’essentiel à positionner les luminaires dans les signes du zodiaque, puis à analyser les angles qu’ils font les uns par rapport aux autres, ni ses préoccupations, qui relèvent d’un mode subjectif, ne permettent à l’astrologue d’en dire un mot.

La plupart des astrologues se limitent à une simple hypothèse synchronistique, qui postule des corrélations sans relation causale, c’est-à-dire en fait de mystérieuses coïncidences systématiques. En revanche, pour les astrologues en mal de scientificité et qui outrepassent la seule lecture symbolique du ciel, la position des planètes conditionne, via une mystérieuse action, le thème de celui sur qui elle s’exerce.

Astronomie et astrologie eurent une longue histoire commune, ne serait-ce que parce que le calcul des positions des astres relevait et relève toujours de l’astronomie.  Ces liens étroits conduisent le public à confondre régulièrement l’astrologie avec l’astronomie, et par extension, à assimiler la première à une science.

 

Objections scientifiques des astronomes

Postuler une relation entre la position des astres et les aptitudes ou les comportements humains n’aurait, a priori, rien d’anti-scientifique. On ne saurait nier que le Soleil est le principe et le régulateur de toute vie végétale et animale sur Terre, et gouverne la succession des saisons. Le rôle de la Lune est prépondérant dans le fonctionnement des marées et joue également un rôle dans l’imaginaire collectif. Mais la question qui se pose aux astrologues est la justification physique de la relation luminaire-homme, postulée pour interpréter l’horoscope.

En empruntant à l’astronomie ses méthodes de calcul mais non ses hypothèses, l’astrologie a récemment récupéré un préjugé favorable, une légitimation scientifique à la source de sa pérennité – bien qu’une technique ne suffise pas à fonder une science.

Les arguments classiques les plus couramment utilisés par les astronomes portent sur l’écart abyssal entre le ciel réel et le ciel astrologique : les constellations n’ont aucune réalité physique et la position des luminaires dans le zodiaque n’est qu’une pure illusion projetée, qui tient la voute céleste pour une toile sans profondeur. Les constellations ont des extensions inégales et seraient d’ailleurs au nombre de 13 et non de 12 ; au-delà du cercle polaire, le Soleil ne se lève ni ne se couche, et la mise en place du thème astral ne fonctionne plus ; les horoscopes échouent à discriminer finement la diversité des caractères ; les nouvelles planètes, les astéroïdes et divers satellites aujourd’hui répertoriés par les astronomes sont superbement ignorés ; la caractérologie des signes est celle de l’hémisphère Nord et semble occulter l’autre hémisphère ; plus grave encore, la précession des équinoxes sépare progressivement les signes de leur constellation d’origine (par exemple, le signe du Bélier coïncide aujourd’hui avec la constellation du Taureau et non plus avec sa constellation d’origine).

Les astrologues répondent à la plupart de ces critiques. Ils rétorquent que le ciel astronomique est physique, tandis que le leur est avant tout symbolique, mais continuent à exiger la position des astres à mieux qu’une minute d’arc près ! De nombreuses autres incohérences subsistent, mais les arguments les plus négatifs des astronomes à l’égard de l’astrologie portent sur leur méconnaissance de la réalité physique de l’Univers et de sa richesse. Que devient le ciel de l’astrologue, si les astres ne sont pas pris en compte pour eux-mêmes – bref, si le ciel est sans objet ?

L’astrologie ne serait-elle qu’une projection symbolique de la nature humaine ? Admettons-le provisoirement. Il reste que le langage symbolique possède des limites qui le tiennent à distance des réalités du monde physique. On ne peut que s’interroger sur les qualités attribuées aux constellations du firmament : pourquoi le Bélier est-il masculin tandis que le Taureau hériterait du féminin, en quoi les Gémeaux devraient-ils être associés à l’air, et ne peut-on s’étonner que les Poissons se rapportent aux chevilles et le Sagittaire au nerf sciatique etc.?

L’exemple de la planète Mars est tout aussi frappant : pour l’astrologue, la couleur rouge évoque le sang qui coule et avec elle la mort ; pour un scientifique, la couleur rouge peut avoir de multiples raisons causales, seule l’expérience décide. Les missions spatiales vers Mars, attestent de la présence de fer : la couleur rouge est due à l’oxydation de ce métal. Or, cette oxydation requiert la présence d’oxygène, notamment de l’eau. L’eau étant source de vie sur Terre, la question de l’apparition de la vie sur Mars est légitime. Nous n’en sommes qu’à formuler des hypothèses qui ne seront tranchées que lors des futures missions sur la planète rouge. Mars-rouge-guerre-sang et mort, chaîne symbolique qui fonctionne sur l’analogie et l’affect, fait place à Mars-rouge-fer-eau et vie, qui relève de stricts liens de causalité. Que la couleur ait suscité une interprétation symbolique simple et élémentaire passe encore, il demeure étonnant que ce jeu associatif puisse perdurer même après avoir perdu toute signification réelle.

Les astronomes s’élèvent contre ce passage du général au particulier, soulignant le tour de passe-passe qui voudrait que ce qui s’applique aux saisons ou aux marées, concerne les faits et gestes de chacun, considéré individuellement.

 

Le verdict des statistiques

De nos jours encore, chaque début d’année amène pléthore de prédictions astrologiques concernant la politique, l’économie, la société. L’astrologie ne fournissant aucun cadre explicatif à l’influence des astres, on ne dispose pour tester la validité de ses propositions que de l’analyse statistique. Les prédictions de l’astrologie événementielle restent évasives : leur rédaction revêt un caractère flou qui se prête à des interprétations multiples, voire à des manipulations.

De fait, lorsque des prédictions ou des effets astrologiques ont pu être testés sur la base de statistiques précises, ils n’ont jamais pu être vérifiés – hormis dans un petit nombre de succès attribuables au hasard. L’effet Mars[2] qui croyait révéler la prédominance de la planète Mars dans le ciel de naissance des grands sportifs est un de ceux-là (c.a.d. non vérifié).

La plupart des tests réalisés et cités en exemple par les astrologues le protocole expérimental n’est jamais défini de manière neutre et rigoureuse. Rien de plus facile que de tirer des déductions fausses à partir de corrélations vraies. Le phénomène de la Lune rousse en est l’illustration : les bourgeons naissants sont fragiles en avril et les nuits encore froides ; une gelée tardive roussit ces jeunes pousses. Les agriculteurs ayant observé que ces gelées survenaient par nuit claire lorsque la Lune resplendit au firmament, l’ont accusé de ces méfaits. Aujourd’hui, familiarisés avec le mécanisme de l’effet de serre, nous savons que par ciel clair, la chaleur se dissipe rapidement pendant la nuit ce qui favorise le gel. Lorsque le ciel est couvert, outre que la Lune reste cachée, le rayonnement se maintient sous le manteau de nuages et la chaleur est conservée. Il y a bien corrélation sans relation causale.

De nombreuses expériences effectuées par des sociologues, des psychologues ou des journalistes, aux résultats tous négatifs, ont été compilées par A. Fraknoi[3], parmi lesquelles certaines ne manquent pas de piquant[4]. La seule étude statistique vraiment sérieuse, qui a satisfait aux critères fondamentaux de validité scientifique, concerne l’astrologie de naissance : il s’agit du test du California Personality Inventory (CPI)[5]. Ont participé au test 100 volontaires et un groupe de contrôle, comportant une distribution identique de signes de naissance, 28 astrologues consentants, et un panel de physiciens et psychologues. Les résultats furent sans appel statistiquement et tous négatifs vis à vis des prédictions de l’astrologie,.

Notons que la grille de lecture utilisée par l’astrologue, d’une grande richesse psychologique, est si ambivalente, si polysémique, qu’elle offre un nombre quasi illimité d’interprétations pour un thème astrologique donné. Cette ambivalence confère à l’astrologue un choix immense, souvent contradictoire, qui lui donne la faculté de s’adapter à toutes les circonstances.

Lors d’une consultation, quelles que soient les conditions initiales fournies par l’horoscope, la perception de l’astrologue, induite par ses échanges avec son client, se modifie progressivement pour aboutir à une description à laquelle ce dernier acquiesce. Son talent relève dès lors de celui d’un psychologue.

 

Psychologues sans le dire et surtout sans l’être

Il nous est maintenant permis de déplacer notre discussion hors du champ des sciences exactes car, in fine, la plupart des astrologues - pour qui l’objet de l’astrologie n’est pas le ciel mais l’Homme, à la fois sujet et objet - se gardent bien de confronter leur pratique aux exigences et aux méthodes des sciences de la nature. Or l’astrologie rassure, elle attire ceux qui cherchent conseil, souhaitent mieux se réaliser dans la vie, ou qui hésitent à consulter un psychologue. L’astrologie, comme moyen permettant de prédire l’avenir peut s’avérer insidieusement contraignante, car plus la consultation avance, plus s’installe un climat de confiance vis à vis de l’astrologue. Celui-ci, en position dominante conserve l’initiative de la parole. Le client se trouve en situation d’attente croyante, un mécanisme par lequel une personne n’attend et n’entend d’un tiers que ce qu’elle est venue chercher. Il est difficile de se déprendre de cette situation, même lorsqu’on cherche à s’en prémunir. Selon son degré d’adhésion le consultant entendra, avec ou sans retenue, ce qui lui sera révélé. La manipulation psychologique est un piège difficile à déjouer. L’autorité du sachant, censée incarner la volonté des astres, représente une aliénation qui suspend l’exercice le plus élémentaire du libre arbitre. Dans leur grande majorité, les astrologues n’ont aucune formation officielle en matière de psychologie. Or contrairement au destin tracé dans les étoiles, la psychothérapie pratiquée par de vrais professionnels offre aux patients un espace de possibles et un traitement in situ de conflits inconscients qui se manifestent dans leurs comportements.

Que l’Univers ne soit pas indifférent réconforte.  L’astrologie sert de pilule de bonheur. Il arrive que la consultation prenne l’allure d’une description qui sonne juste et aide à débloquer une situation de choix difficile. Hélas, les suggestions peuvent aussi devenir auto-réalisatrices et bloquer la personne dans l’attente de l’événement annoncé, ou la conduire à conformer son existence aux tendances décrites par son signe astrologique.

La croyance en l’astrologie touche toutes les couches de la société, incluant les personnes les plus éduquées. Les agriculteurs apparaissent moins crédules que les employés, ouvriers ou les cadres moyens, et c’est paradoxalement dans les villes que l’astrologie se répand le plus rapidement. L’attitude croyante envers l’astrologie augmente avec l’intérêt déclaré pour la science, culmine parmi les classes moyennes salariées détentrices d’un diplôme de niveau intermédiaire (selon le philosophe Théodor Adorno, le semi-érudit emprunterait des raccourcis non-scientifiques, afin de trouver  des réponses immédiates à des interrogations sur son avenir), puis diminue significativement pour la classe sociale la plus éduquée, ayant fait des études supérieures, scientifiques notamment, mais bien loin toutefois de tomber à zéro. Toutefois, la frange de la population la plus réceptive à l’astrologie reste celle dont l’insertion sociale dépend très fortement des aléas du marché du travail, et qui ressent un fort sentiment d’angoisse vis-à-vis de l’avenir. Les personnes seules et les chômeurs se confient à une mécanique astrale rassurante ou estiment que des forces supérieures les dominent. L’horoscope constituerait un puissant réducteur d’anxiété face aux facteurs d’insécurité propres à nos sociétés modernes.

Marchandisation et imposture

La réponse du monde scientifique à la croyance astrologique va de l’indifférence totale à la neutralité polie et convient de ne pas s’immiscer sur un terrain qui relève du choix personnel de chacun. Une voie, sans doute plus minoritaire, réunit ceux qui combattent l’astrologie au nom de la démocratie afin de protéger les citoyens crédules des manipulations, de l’exploitation financière, de l’escroquerie et des dérives discriminatoires.

L’Union Rationaliste s’élève régulièrement contre elle, au nom du combat des Lumières contre l’obscurantisme, rappelant que sa pratique est contraire à la loi et répréhensible, en vertu de la loi du Code pénal de 1832 (abrogée en 1994). Elle a demandé à plusieurs reprises aux pouvoirs publics d’interdire certaines pratiques divinatoires. Notons que cet ancien Code pénal français comprenait l’article R.34‑7°, aux termes duquel « les gens qui font métier de deviner et pronostiquer, ou d’expliquer les songes » étaient passibles d’une amende. Cet article a été abrogé dans la nouvelle version du Code, levant la menace qui pesait sur les psychanalystes travaillant sur l’interprétation des rêves et, du même coup, sur la pratique des astrologues.

Pourquoi les arguments rationalistes ne portent-ils pas autant qu’on le souhaiterait ? Une personne aura tendance à s’identifier à ses croyances et à les défendre comme si sa vie en dépendait. Renoncer à une croyance équivaut à une forme de mutilation. Cette dernière transforme le contradicteur en agresseur. Plus les arguments font mouche, plus la raison semble écrasante, moins elle remporte la mise ! Il faudrait pouvoir prendre en compte le caractère intime de l’adhésion.

Hélas, la majorité des astrologues pratiquent avec habileté, un pur commerce qui prospère sur la crédulité des demandeurs, puisque la demande existe, bel et bien.  L’influence des astrologues ne s’exerce pas uniquement sur la sphère privée mais tout autant sur la vie économique et politique. Certaines entreprises utilisent sans vergogne l’astrologie pour leur recrutement, au mépris du Code du travail. L’astrologie, dans le domaine public, s’avère très lucrative. Ces dernières années ont vu se développer une astrologie financière, fondée sur le mouvement apparent d’Uranus, qui a fait rage jusqu’à Wall Street !  En France, le bulletin astrologique mensuel Bourse anticipation prodigue ses conseils aux investisseurs en donnant les tendances générales à suivre. On sait que le signe astrologique a été examiné dans le calcul des tarifs de certaines compagnies ou courtiers d’assurances. L’étude publiée par la compagnie d’assurance Allianz Suisse en 2017 ne semble heureusement pas avoir été suivie d’effet.

La pratique des horoscopes de presse emploie des méthodes frauduleuses, dénoncées depuis des décennies, voire condamnées par nombre d’astrologues. Il n’est plus un mystère que les rédactions ne font même plus appel aux astrologues pour produire leurs horoscopes de presse, mais recourent à des étudiants, des stagiaires, voire le cousin ou la cousine.

Au niveau de l’État, la très officielle Française des Jeux, organisme public dépendant du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, a lancé le jeu Astro-Loto, dont l’habillage et les campagnes publicitaires se réfèrent explicitement à l’astrologie.

 

Quel est l’impact de l’astrologie aujourd’hui ?

Nous vivons, une époque paradoxale : la science engrange d’incontestables succès, mais son usage, même maitrisé de l’énergie nucléaire ou celle des patrimoines génétiques inquiète une partie de la population, qui estime que l’humanité a atteint l’extrême limite de l’exploitation technologique des ressources naturelles, au-delà de laquelle sa survie même est menacée. L’homme est perçu comme un prédateur qui use sans discernement les richesses de notre planète avec la complicité de la science et surtout de la technologie, en dépit des avertissements des scientifiques eux-mêmes.

Si le parcours du scientifique est semé d’énigmes, rien n’autorise à affirmer que les sciences et l’astrologie, en ce qu’elles offrent un tableau d’incertitudes comparable, pourraient être considérées comme équivalentes ! En quoi, les incertitudes aux frontières de la science donneraient-elle une justification à l’astrologie ?

Dans ce contexte, l’astrologie a-t-elle sa place dans le monde contemporain et quel en serait l’enjeu? L’humanité fait face à des défis sans précédent, en nombre et en gravité : réchauffement climatique, épuisement des sols et des sous-sols, surproduction de déchets, inégalités de richesse entre les personnes et entre les peuples. Ces grandes questions relèvent d’analyses, de compétences, d’initiatives, situées bien au-delà de ce qui est proposé par la lecture sibylline d’un thème astral. L’heure n’est plus à l’obscurantisme, à la régression passéiste, au complotisme ou à la soumission passive à une volonté supérieure. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous laisser griser ou endormir par de puériles sirènes astrologiques qui d’ailleurs, n’avaient rien vu venir. Treize ans après l’écriture de notre premier ouvrage sur l’astrologie en 2005[6], nous pouvons nous demander si l’astrologie reste toujours d’actualité ? Or, la société change rapidement et force à des constats nouveaux.

On peut se demander d’où vient cette crédulité ? D’un inéluctable besoin de croire ! Pour autant, l’astrologie n’occupe plus le devant de la scène comme c’était le cas dans la décennie précédente.  Les plus récentes enquêtes, dont celle réalisée pour le quotidien Le Monde et l’hebdomadaire catholique La Vie, révèlent qu’en Occident, les croyances en l’astrologie ne progressent plus de manière significative, voire régressent.  Si certains lisent le thème du jour comme s’il s’agissait d’une fiction, d’autres traquent l’indice qui les aidera à gérer leur vie professionnelle, leurs amours, ou à organiser leurs vacances. Les consultations individuelles sont souvent encouragées par les horoscopes de presse qui invitent le lecteur à approfondir leurs prédictions, nécessairement approximatives puisque collectives.

Certes, elle reste vivace (en particulier sous d’autres latitudes), car par son objet même, elle tente de replacer l’homme dans un Cosmos où il ne se voit plus étranger. Elle sera probablement, comme le prédisait Edgar Morin[7], toujours présente en arrière-plan, mais nous pensons que d’une certaine manière, elle s’est ringardisée.

Les astres nous en disent moins sur nous-mêmes et sur notre avenir que ne le font nos gènes. L’avenir d’un nouveau-né est maintenant lisible plus facilement sur une échographie et dans l’analyse du liquide amniotique que dans son thème astral ou la boule de cristal. Les futures mères ne s’y trompent pas. Peu à peu, l’astrologie est non seulement réfutée mais tombe en désuétude. Sa référence au cosmos est maladroite, fausse et incomplète. Au mieux, elle propose aux esseulés une belle histoire d’amour à venir, sous les auspices favorables de Vénus et d’un romantique clair de Lune. Pour le meilleur ou pour le pire, un monde scientifico-techno-ésotérique fait irruption, porteur de rêves et de pratiques alternatives nouvelles, avec les cyborgs, les robots, les voyages intersidéraux promis par SpaceX, ou la possibilité entrevue de vivre éternellement qu’envisage rationnellement le trans-humanisme. Notons qu’il n’est pas inhabituel de s’affirmer rationaliste, tout en adoptant un comportement contraire.

De notre point de vue, le positionnement de l’astrologie et ses postures intellectuelles ou culturelles n’ont aucune pertinence. Seules les qualités d’un astrologue praticien empruntées à la psychologie sont les garants possibles d’un aléatoire succès, et non pas l’astrologie elle-même.

Ses nombreuses impostures, au sens propre du terme, se nourrissent, soit de la crédulité humaine, soit du désarroi face à un avenir qui se dérobe. Il serait inutile d’entamer une nouvelle croisade : les enjeux qui se posent aujourd’hui à l’humanité débordent largement le cadre de l’imposture astrologique et méritent bien plus d’attention et d’efforts. Il convient de la distinguer de la science rationnelle, qui nous donne à la fois un diagnostic précis et une ligne de conduite pour un avenir collectif meilleur. Laissons l’astrologie glisser lentement en désuétude, conséquence de sa progressive inadéquation au monde. En revanche, son exploitation commerciale débridée et les nombreuses dérives dont elle fait objet ne sauraient qu’être vigoureusement condamnées.

 

[1] Daniel Kunth est directeur de recherche CNRS émérite à l’Institut d’Astrophysique de Paris. Il est co-auteur d’un ouvrage qui vient de paraître : L’Astrologie est-elle une imposture ?  D. Kunth & Ph. Zarka, 2018, CNRS éditions, coll. Biblis no 194

[2] cf. Science et Vie, no 781, octobre 1982, p.44 et l’étude du CFEPP : L’effet Mars, Prometheus books, 1996.

[3] A. Fraknoi, Your Astrology Defense Kit, Sky and Telescope, pp 146-150, Août 1989

[4] Citons par exemple une expérience menée par la revue Science & Vie en 1968, au cours de laquelle 94% des participants se sont reconnus dans le même horoscope interprété, celui du Dr Petiot (exécuté en 1946 pour l’assassinat de 27 personnes !).

[5] publié par S. Carlson dans la prestigieuse revue Nature en 1985

[6] L’astrologie, Kunth D. et Zarka Ph., Que Sais-je ; PUF. 2005.

[7] https://www.lexpress.fr/informations/un-langage-qui-nous-parle-de-notre-psyche_622433.html